Avec la participation de Marc Duhamel, professeur agrégé d’économique au Département de finance et d’économique et chercheur régulier à l’Institut de recherche sur les PME de l’Université du Québec à Trois-Rivières.
La pandémie de la COVID-19 de 2020 marquera-t-elle le début d’une nouvelle décade résolument tournée vers le dynamisme et la vitalité de l’écosystème entRepreneurial québécois?
S’il n’en tient qu’aux toutes dernières données de l’Enquête canadienne sur la situation des entreprises de Statistique Canada d’août 2020, la réponse est indéniablement, Oui!
Ces données sont intéressantes puisqu’elles permettent de mettre à jour les plus récentes estimations des intentions de transfert d’entreprises au Québec (et ailleurs au Canada). On se rappellera que l’étude quantitative du CTEQ intitulée « Portrait du repreneuriat de PME au Québec en 2017 » publiée lors du Sommet international du repreneuriat de 2019 dénombrait des moyennes annualisées d’intentions de transferts de PME d’environ 7 000 au Québec et de 25 000 au Canada en 2017.
Globalement, en se basant sur le décompte des entreprises avec employés des économies québécoise et canadienne de Statistique Canada qui constitue la population visée par l’Enquête, il apparaît maintenant qu’au moins 5,6 % des entreprises avec au moins un employé au Québec (toutes industries confondues excluant les administrations publiques) qui affirment avoir l’intention de transférer l’entreprise d’ici 2022, et ce, peu importe la taille de l’entreprise. Cela représente presque 15 000 entreprises au Québec et un total de 50 000 entreprises partout au Canada qui seraient (déjà) en mode transfert en 2020 et 2021.
Bref, on passe du simple au double entre 2017 et 2020.
Engouement pour le repreneuriat
Qu’est-ce qui peut expliquer cet engouement vertigineux pour le repreneuriat, tant au Québec qu’au Canada en 2020 ?
Est-ce qu’il s’explique par un épuisement subit de nos entrepreneurs poussés à bout de souffle par la pandémie de la COVID-19 ? Ou bien, y aurait-il une vague de fond qui fera de la prochaine décade le « moment de vérité » pour les pouvoirs publics, les universitaires et les intervenants des milieux d’affaires, où l’on reconnaitra pleinement l’importance du repreneuriat pour la vitalité des écosystèmes entRepreneriaux?
La réponse à ces deux questions est : les deux, et ce pour trois raisons.
Premièrement, on ne peut négliger les effets dévastateurs que peut avoir la gestion de la pandémie de la COVID-19 sur la santé mentale et physique de nos entrepreneurs à moyen et à long terme.
Une étude toute récente d’Étienne St-Jean (UQTR) et de Mariepier Tremblay (ULaval) montre que presque quatre entrepreneurs sur dix étaient épuisés professionnellement, en juillet 2020 seulement ! Bien que l’échantillon n’est pas statistiquement représentatif de la population et que plusieurs entrepreneurs y ont trouvé leur compte pendant la pandémie, force est de constater que la deuxième vague de la pandémie en pousse plusieurs rendus « à bout de souffle » d’envisager « L’après inc. » selon Marie-Josée Drapeau (UQAC) et ses collaboratrices.
Vieillissement des entrepreneurs
Deuxièmement, la vague tant annoncée et attendue du vieillissement de nos entrepreneurs se poursuit et prend de l’ampleur au Québec.
Selon les dernières prévisions démographiques de l’Institut de la statistique du Québec, 2022 marquera pour la première fois l’histoire du Québec où la population âgée de 65 ans et plus dépassera celle des jeunes de moins de 20 ans. Sans le repreneuriat, le Québec pourrait répéter l’expérience du Japon où le vieillissement des chefs d’entreprises a mené à une baisse de 21 % du nombre total de PME en 15 ans seulement (1999-2014). Si cette expérience se répétait au Québec, ceci représenterait la fermeture d’environ 50 000 entreprises au Québec. On a peine à imaginer les conséquences potentiellement désastreuses de ces fermetures pour la vitalité des écosystèmes entrepreneuriaux en région.
Finalement, malgré tout le soutien que reçoivent les « start-ups » des pouvoirs publics depuis des années, la réalité est que ce type d’activité entrepreneuriale est de moins en moins important comparativement aux transferts, fusions et acquisitions d’entreprises.
Plusieurs études soulignent un long déclin du dynamisme entrepreneurial des économies développées qui remonte au début des années 1980 et qui s’est accéléré au XXIe siècle dans certains cas. Les économies québécoise et canadienne ne font pas exception à ce long déclin décennal des entrées de « start-ups » et des fermetures d’entreprises improductives.
Une étude de Statistique Canada (2014) montre que le taux d’entrée des entreprises a chuté de 24,5 % à 13,1 % au Canada pendant que le taux de sortie est passé de 16,5 % à 11,6 % pendant la période de 30 ans allant de 1983-1984 à 2011-2012. Comme le montrent les figures 1 et 2 ci-dessous, cette baisse graduelle de la dynamique entrepreneuriale des PME s’est poursuivie depuis, tant au Québec qu’au Canada.
En 2018, le taux d’entrée des entreprises était de 10,8 % au Québec et de 12,7 % au Canada. Les taux de sorties d’entreprises étaient respectivement de 9,8 % et 11,4 % au Québec et au Canada.
Pour ces trois raisons, il est fort à parier que la prochaine décade appartiendra aux cédants et aux repreneurs d’entreprises, tant au Québec qu’ailleurs au Canada.
Mais que savons-nous des causes et des effets de cet engouement pour le repreneuriat? Malheureusement, bien peu.
Avec presque 15 000 entreprises au Québec qui se déclarent prêtes à céder l’entreprise au cours de la prochaine année, le maintien de la vitalité de l’écosystème entRepreneurial québécois devient une priorité stratégique si le Québec et le Canada ne souhaitent pas répéter l’expérience japonaise.
Bien que la recherche soit encore largement déficiente sur les causes du déclin décennal du dynamisme des écosystèmes entrepreneuriaux et des impacts économiques du repreneuriat, certains suggèrent que le développement des technologies d’information et la globalisation des échanges a tout simplement modifié profondément les modèles d’affaires. L’arrivée des grandes bannières internationales telles que Wal-Mart, Costco, Bureau en gros et Ikea dans le secteur du commerce au détail favorise également le développement de chaînes nationales comme Décathlon en France et Simons au Québec et ailleurs au Canada.
Ces grandes chaînes sont effectivement plus productives et plus stables que les petits commerçants de proximité. Mais quels sont les impacts économiques à court et long termes de ces nouveaux modèles d’affaires plus pérennes?
Lorsqu’ils se diffusent dans des secteurs innovants comme le pharmaceutique et les hautes technologies, certains craignent que cette concentration de pouvoir de marché puisse inhiber la prise de risque entrepreneuriale, l’innovation et la diffusion des connaissances qui favorisent le progrès technologique, la croissance économique et la vitalité des écosystèmes entRepreneuriaux.
Un nombre grandissant de décideurs publics souhaitent favoriser l’inoculation de l’écosystème entRepreneurial québécois d’une nouvelle génération de repreneurs prêts à relever les défis d’un Québec inc. 2.0 pérenne. Compte tenu des résultats obtenus depuis 40 ans d’un soutien sans précédent à la création et au développement des « start-ups », il sera important d’appuyer ces efforts par des recherches qui permettront d’en assurer un meilleur rendement pour la vitalité des écosystèmes entRepreneuriaux.
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